Monsieur Shevek
Monsieur Shevek
porte toujours sur lui un vieil imperméable noir qui agit comme un miroir sans fond.
Monsieur Shevek
explore des espaces vivants; qu’ils soient naturels ou urbains, grands ou petits, vides ou pleins.
Monsieur Shevek
interroge les liens qui lient humain et non humain. Liens fait de sensations, de souvenirs, d’histoires, de rêves et de contes.
Monsieur Shevek
tente de mettre au jour un dialogue corporel et sensible entre lui, l’espace et le temps.
il vient du passé
il vient du futur
il émerge du présent
il est un homme entre-deux
il est un homme de l’exil
il est un homme qui se souvient de demain
il est un homme simple
il est un homme qui a faim et qui rit aux éclats
il est un homme du soir et du matin
il est un homme de la nuit
il est un homme que la lumière inonde
il est un homme maladroit
adroit
il est un homme de poussière
il est un homme qui se cogne au vivant et aux choses
il est un homme qui regarde couler le sang dans les veines des passants
il est un homme qui boit pour survivre
il est un homme qui racle le sol
il est un homme qui n’a rien à dire
un homme qui croit
un homme qui espère
il est un homme, un homme de l’absurde, de l’absolu
un homme d’aujourd’hui
il est un homme présent
il est un homme amoureux
il est un homme qui regarde pousser les poils sur sa peau
il est un homme qui dort dans l’humus des sous bois
il est un homme terre à terre
il est un homme qui marche tout le temps
court de temps en temps
s’arrête souvent
il est un homme qui regarde le monde qui l’entoure comme mille pépites d’or
il est un homme
un homme
Homme
Petite histoire sur l’origine
Aline et moi étions en week-end dans le Lot chez Étienne, il nous a montré un endroit qu’il appelle « le petit Kenya » (Il nous avait parlé de cet espace il y a plusieurs mois et on avait rêvé d’y venir passer quelque jours pour y danser).
Vaste étendue herbeuse grillée par le soleil de l’été passé, il y a quelques arbustes tordus par l’aridité du sol et un bosquet touffu. « Le petit Kenya » doit son nom au fait que cet espace rappelle à Étienne les plaines d’Afrique où il à vécu de nombreuses années. L’espace nous plaisait beaucoup et nous avons continué à nous promener en rêvant à mille projets.
Le lendemain, je suis retourné seul voir le petit Kenya. Ce jour là il pleuvait une pluie assez dense et j’avais emprunté à Étienne une veste de pluie que j’avais vue la veille sur lui et qui m’avait, je ne sais pas pourquoi, beaucoup intéressé.
Une fois sur les lieux, j’ai marché, j’ai arpenté l’espace pour en faire le tour, pour regarder dedans. Pour observer sous mes pieds et au dessus de ma tête.
J’ai cherché à m’y perdre et j’ai entamé sans avoir rien prémédité, une performance solitaire, la première depuis des mois. Allongé dans l’herbe, sous une pluie de lumière, je suis resté longtemps, ne bougeant que par nécessité, ne cherchant rien d’autre qu’à profiter de cette pluie qui illuminait la matière de ma veste. J’ai senti la matière de ce vêtement faire partie de moi. Devenue comme une seconde peau, elle s’est mise à bouger, à vivre, me donnant ainsi une autre présence à moi même. J’étais devenu un autre.
Cette expérience m’a profondément touché et lorsque, au retour, j’ai juste dit que je trouvais la veste très agréable, Étienne m’a proposé de me la donner.
C’est seulement quelque temps après que l’évidence de la naissance d’un personnage m’est apparue. Avec cette veste je pouvais rentrer en contact avec une autre dimension, une autre réalité. Pas surnaturelle ni métaphysique mais plutôt une réalité très concrète, terre à terre, élémentaire.
En commençant à écrire ce qu’était ce personnage, son nom c’est imposé tout de suite sans vraiment avoir besoin de chercher. Shevek est le nom du personnage principal du roman d’Ursula le Guin « les dépossédés » qu’un autre ami, Marc, m’avait prêté pour que je lise ceci:
« Il serait toujours quelqu’un pour qui le retour était aussi important que le voyage. Partir n’était pas assez pour lui, seulement à moitié suffisant; il devait revenir (…) Il ne se serait sans doute pas embarqué dans cette entreprise qui lui prit des années s’il n’avait pas eu la profonde certitude que le retour était possible; qu’en réalité la vraie nature du voyage, comme une circumnavigation autour du globe, impliquait le retour. On ne peut pas descendre deux fois la même rivière , ni rentrer dans son foyer. Cela, il le savait(…)cependant, partant de cette acceptation du caractère transitoire des choses, il construisit sa grande théorie, où ce qui est le plus changeant est montré comme ce qui a le plus important caractère d’éternité.(…) Nous pouvons regagner notre foyer dès lors que nous comprenons que notre foyer est un endroit où nous n’avons jamais été(…)Les Odoniens qui avaient quitté Urras s’étaient trompés, dans leur courage désespéré, en reniant leur histoire, en renonçant à la possibilité du retour. L’explorateur qui ne revient pas ou ne renvoie pas ses vaisseaux pour raconter son histoire n’est pas un explorateur, ce n’est qu’un aventurier; et ses fils naissent en exil »
Monsieur Shevek était né, il pouvait partir explorer l’espace et le temps pour rendre compte de son expérience et révéler aux autres sa vision du monde. Merci donc à eux Aline, Étienne, Marc de m’avoir mis sur le chemin de Monsieur Shevek